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Une réévaluation du massacre de Nankin (1/4) – Contexte
Une réévaluation du massacre de Nankin (1/4) – Contexte

Une réévaluation du massacre de Nankin (1/4) – Contexte

Quelles que soient leurs origines ou opinions, le massacre de Nankin constitue pour les Chinois une tragédie dont l’ampleur est comparable à Hiroshima, si ce n’est à Auschwitz. Côté japonais, ceux qui cherchent à minimiser et justifier leurs crimes, voire à les nier complètement, sont encore nombreux. Pour celui qui prend la peine de remonter aux (nombreux) témoignages dont nous disposons, il n’est pourtant pas si difficile de cerner avec un degré raisonnable de précision les modalités, responsabilités et dimensions de cet événement (notamment le nombre de victimes, point sur lequel les débats sont particulièrement violents). Aucun autre massacre de population dans l’histoire du continent asiatique, et peu de massacres survenus lors de la Seconde Guerre mondiale, même en Europe, n’ont fait l’objet de témoignages écrits et oraux aussi nombreux. Universitaires étrangers (parmi lesquels des professeurs en sociologie et en histoire), journalistes, missionnaires, diplomates et hommes d’affaires, tous maîtrisant la culture et, souvent, la langue chinoise, nous en ont fourni des récits en abondance. Ces témoignages sont d’autant plus fiables qu’ils furent rédigés pendant ou juste après les événements.

Execution sommaire
Execution sommaire
Le rôle central du massacre de Nankin dans la guerre sino-japonaise de 1937~45 a malheureusement provoqué, en Chine comme au Japon, une surenchère idéologique préjudiciable à la vérité historique. Curieusement, l’écart entre les différents recensements de victimes ne s’est pas réduit. Il s’est au contraire creusé au fil du temps  : les derniers chiffres s’échelonnent ainsi entre cinquante et 430.000. Par respect pour leurs soldats morts au combat, un certain nombre (mais pas une majorité) de vétérans, homme politiques et historiens japonais mettent un point d’honneur à nier les faits et/ou les chiffres. Et pour nombre de Chinois (en Chine, mais peut être encore plus aux Etats-Unis), gonfler le nombre de victimes est une question de fierté nationale. Toute tentative de discuter les faits ou le chiffre officiel de 300.000 victimes, inscrit en gros sur les murs du Mémorial du massacre de Nankin, est susceptible de déclencher un incident diplomatique. La recherche historique a beaucoup souffert de cette situation: il n’y a pas eu de travaux sérieux sur les autres massacres commis en temps de guerre, tels que ceux de Wuhan en 1938 ou de Changsha en 1944, et encore moins d’évaluation complète des crimes japonais en Chine offrant une alternative à l’actuel et discutable chiffre officiel de 35 millions de morts violentes. Du point de vue de la recherche historique, il serait pertinent de comparer le massacre de Nankin avec celui de Singapour en 1942 (la tristement célèbre opération Sook Ching ), ou avec celui de Manille en 1945. Mais ce serait aussi courir le risque de le banaliser dans une certaine mesure, et aller à l’encontre des phénomènes d’héroïsation ou de diabolisation associés à l’événement. Une telle comparaison pourrait même établir que Nankin n’a peut-être pas été le plus important massacre japonais en Chine (celui de Manille, lui-même très peu étudié, viendrait probablement en tête pour l’Asie dans son ensemble). Ainsi, nous ne savons même pas dans quelle mesure le comportement des troupes japonaises à Nankin a été l’exception ou la règle en Chine.

Un même effet amplificateur peut être observé dans le cas d’Auschwitz, qui est toujours considéré comme le lieu symbolique du génocide juif. Nous savons pourtant que le nombre de morts (environ 900.000) n’y a été que légèrement supérieur à celui du deuxième plus terrible camp de la mort, Treblinka (environ 800.000 morts). En outre, les victimes d’Auschwitz ne représentent qu’un sixième de l’ensemble des victimes juives. Cela s’explique par le fait que, malgré les terribles épreuves subies, un certain nombre de témoins sont sortis vivants d’Auschwitz, alors que presque tous les déportés furent exécutés à leur arrivée à Treblinka. Nous devons envisager la possibilité qu’un tel effet amplificateur ait pu jouer pour Nankin.

Statue du mémorial du massacre de Nankin
Statue du mémorial du massacre de Nankin

La grande différence avec Nankin, à l’heure actuelle du moins, est que le nombre de victimes d’Auschwitz a été corrigé à plusieurs reprises – et n’est pas encore définitif –, passant d’un chiffre initial de 4 millions (le chiffre officiel de la Pologne communiste) à moins d’un million. Or ces réévaluations ont dans une large mesure été effectuées par des historiens juifs, sans provoquer de controverses majeures ou d’accusations de révisionnisme, et sans implications politiques. Hormis quelques révisionnistes virulents mais isolés et totalement discrédités universitairement et politiquement (sauf peut-être dans quelques pays d’Europe de l’Est), un large consensus prévaut sur l’étendue et les caractéristiques des crimes nazis. Les historiens allemands eux-mêmes jouent un rôle essentiel et désormais incontestable dans l’avancement de nos connaissances sur la Shoah. Si de nombreuses zones d’ombres et des controverses, parfois acerbes, persistent, elles concernent surtout des points spécifiques (chronologie, personnages, organisations, histoire locale…) et des interprétations. La situation est bien différente en Asie.

Cet article propose une réévaluation des premières semaines tragiques qui suivirent l’occupation de la capitale chinoise de l’époque par les Japonais le 13 décembre 1937. Nous nous concentrerons sur les points les plus controversés. Les données, pour la plupart d’époque, proviennent de témoins ou d’acteurs des faits, occidentaux et japonais. Les sources chinoises fiables sont plus rares. Mais les publications officielles de l’époque et la série de témoignages minutieusement recueillis depuis les années 1970 par Honda Katsuichi sont en revanche précieuses.

Jean-Louis Margolin

Maître de conférences en histoire, Université Aix-Marseille
Institut de Recherches Asiatiques (IrASIA, UMR 7306), Marseille
  1. Le massacre de Nankin a été la pire monstruosité du XXème siècle et puis pourquoi les japonais et les chinois se faisaient la guerre en 1937 jusqu’en 1945?

    Je pense que les japonais sont entrain de se réconcilier avec leur douloureux passé du à l’héritage de cette guerre sino-japonaise voir même de la Seconde guerre mondiale qui a été la plus meurtrière de l’histoire .
    C’est à cause des militaristes japonais que cet holocauste a été commise au nom de l’empereur de l’époque HiroHito .

  2. Mr Margolin, je me souviens avoir lu dans un de vos livres que le chiffrage du nombre de morts à Nankin dans les livres d’Histoire et manuels scolaires en Chine a lui-même énormément fluctué depuis 1949 au gré du réchauffement ou du refroidissement des relations Chine-Japon. Ayant été expatrié dans ces deux pays, j’ai pu visiter tant la ville de Nankin (Nanjing) et son mémorial que le musée historique jouxtant le sanctuaire Yasukuni à Tokyo (où dans l’atrium on peut « admirer » une locomotive qui tira le train sur la tristement célèbre ligne Bangkok-Rangoon, présentée comme un « chef d’oeuvre de l’ingéniérie impériale ».

    1. A vrai dire, ce qui a surtout varié cela a été l’importance accordée à l’événement. Sous Mao, quand on s’intéressait aux héros et non pas aux victimes, on ne parlait presque pas de Nankin. Ensuite, tant que la Chine courtisa le Japon pour obtenir crédits et investissements, on ne l’évoqua pas davantage. Une fois ces buts remplis, et quand il fallut trouver avec le nationalisme une idéologie de remplacement au communisme quelque peu dévalué, on se mit à en faire une grande cause nationale (à partir de 1982). OK avec vous sur le scandale de ce musée, d’autant plus que c’est le seul à Tokyo à être centré sur la guerre dans son ensemble.

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