Si l’histoire des 47 Ronin reste célèbre, dépassant même les frontières du Japon, en ce qu’elle révèle ce que pouvait être pour le Samouraï l’ultime acte de loyauté envers son maître, il en est une autre, bien moins connue et distante de plusieurs centaines d’années, qui pourtant est tout aussi remarquable.
Fils de samouraï, le Général Nogi, une des grandes figures de l’ère Meiji (1868-1912), a vécu toute sa vie en suivant strictement le code de son clan, et ce jusqu’à la mort.
Comme il est possible de visiter à Tokyo le cimetière dans lequel reposent les 47 Ronin, la résidence du Général Nogi, vieille de plus de 100 ans et dans laquelle il a passé les dix dernières années de sa vie, a été sauvegardée en tant que précieux témoin d’une époque de Restauration du Japon.
Située à une quinzaine de minutes à pied du carrefour toujours encombré de Roppongi, en plein cœur de Tokyo, elle se trouve dans un angle du Parc Nogi.
Et alors que les plus grandes tours côtoient ici des bâtiments très sophistiqués, c’est une simple petite maison en bois qui se détache de ce paysage urbain et qui vient emporter son visiteur dans une autre époque, celle de l’ère Meiji, qui a vu le Japon passer du rang de petite péninsule isolée au statut de puissance mondiale pouvant rivaliser avec les plus grandes Nations d’Occident.
La conservation de cette maison, totalement anachronique au sein d’une ville considérée comme l’une des plus modernes du monde, n’est évidemment pas anodine. Le petit manoir, qui date du début du XXème siècle, a été préservé pour rendre hommage à son propriétaire, le Général Nogi, ainsi qu’aux actes héroïques dont il a fait preuve au cours de sa vie et jusqu’à son dernier souffle.
C’est en effet dans cette maison que le militaire haut gradé et sa femme ont choisi de se donner la mort pour rester loyaux à leur empereur décédé quelques semaines plus tôt. La maison, qui en temps normal, ne peut se contempler que de l’extérieur, peut se visiter seulement deux jours dans l’année.
Elle se présente aujourd’hui comme un site historique important ainsi que le vibrant témoignage d’un pan capital de l’Histoire du Japon, et ce au travers de la vie du Général Nogi, véritable héros de guerre, que de nombreux Japonais considèrent comme un exemple ultime de sacrifice humain.
La carrière militaire du général Nogi
Nogi Maresuke est né le 25 décembre 1849 à Edo dans une famille de samouraï vassale du Clan de Shochu. Troisième fils de la famille, il reçut le nom de Nakito à sa naissance, ce qui signifie littéralement « pas une personne ».
Ses deux frères étaient morts nouveau-nés et son père voulait ainsi convaincre les mauvais esprits que celui-ci ne valait pas la peine d’être pris. Il vécut dans cette résidence les dix premières années de sa vie et y reçut de son père une éducation stricte empreinte de l’esprit de chevalerie et dans la tradition des samouraï, avec en toile de fond la fameuse histoire des 47 Ronin.
Lorsque ces derniers furent condamnés à se faire seppuku en février 1703, quatre sites furent choisis dans Edo et l’un d’eux, le Parc Mori où dix ronin se donnèrent la mort, se trouvait d’ailleurs près de la résidence des Nogi.
On peut aujourd’hui encore facilement se rendre sur ce qui est considéré comme le lieu de sa résidence natale, matérialisée par une imposante stèle élevée dans un coin du parc Sakurazaka, à quelques minutes à pied de la Tour Mori de Roppongi Hills.
Le parc porte aussi le nom de «Robot Park» en raison de son aire de jeux pour enfants très colorée et dessinée sur le thème des robots. Et à quelques minutes à pied se trouve le très paisible parc Mori, situé entre la tour Mori et le bâtiment de la chaîne de télévision Asahi.
Bien qu’il aimait le travail à la ferme et l’écriture de poèmes, son père le destina très tôt à une carrière militaire et à 14 ans il intégra l’école de son clan à Chofu, dans la préfecture de Yamaguchi, où la famille dut déménager en 1859, pour être formé aux armes. En 1866, alors qu’il n’avait que 16 ans et qu’il n’avait pas d’expérience, il sortit vainqueur à la bataille de Kokuraguchi.
Le 9 Novembre 1867, l’empereur Mutsuhito accéda au trône. Jusqu’ici, le Japon était gouverné par une famille, les Tokugawa, qui maintenaient le pays dans un total isolement diplomatique.
Mais suite à des émeutes de grands seigneurs, les daimyos, le dernier shogun Tokugawa Yoshinobu remit ses pouvoirs à l’empereur, qui n’avait conservé jusque là qu’une fonction symbolique à caractère religieux.
C’est ainsi que commença l’ère Meiji («ère du gouvernement éclairé»), du nom que l’empereur choisit pour qualifier son règne et se faire désigner après sa mort.
Il lança aussitôt la modernisation du Japon avec son Rescrit impérial, le déplacement de la capitale de Kyoto à Edo, devenue Tokyo la même année, et la disparition des structures féodales.
Les samouraï furent alors privés de leur droit autrefois exclusif de porter des armes. Le Japon reçut aussi l’ordre de former une nouvelle armée nationale qui serait une armée de métier composée de toutes les classes de la société.
C’est ainsi que le jeune Nogi, une fois que son statut de caste de samouraï le lui permit, rejoint la nouvelle armée. Il reçut à 20 ans une formation militaire française à Kyoto sur ordre de son clan pour apprendre les techniques étrangères et devint même instructeur l’année suivante.
Nommé Commandant dans l’armée impériale en 1871, ce qui représente une très importante promotion pour quelqu’un de son âge, il se fit renommer Maresuke à ce moment et participa en 1875 à l’écrasement d’une rébellion durant laquelle il manifesta déjà son indéfectible fidélité à son souverain, allant jusqu’à se battre contre ses anciens camarades et sa famille.
Ayant ainsi gravi très rapidement tous les échelons de l’armée impériale japonaise à la suite de la Guerre de Seinan (1877-1878), il fut l’un des rares privilégiés à être envoyé en Allemagne à la fin des années 1800 (1887), alors que le Japon s’était engagé dans une voie accélérée d’industrialisation et de modernisation, pour étudier la guerre moderne.
Ce séjour d’un an et demi transforma le militaire qui revint avec des comportements et une façon de penser profondément modifiés.
Frappé par ses observations sur les militaires allemands, leur discipline et leur sobriété, soit les vertus militaires par excellence, il décida de laisser derrière lui sa vie de relative luxure pour devenir un modèle de militaire.
Il devait pour cela obéir à une stricte discipline, toujours s’efforcer de se perfectionner et surtout montrer l’exemple aux hommes sous son commandement.
Au tournant du siècle, lors des deux grandes batailles qui ont façonné sa légende, il utilisa les compétences qu’il avait acquises à l’étranger.
Il revint d’abord triomphant de la première guerre sino-japonaise (1er août 1894 – 17 avril 1895), après laquelle il eut une courte carrière politique en étant nommé troisième gouverneur général japonais de Taiwan (octobre 1896 – février 1898).
Le Japon remporta aussi sa guerre contre la Russie qui s’était tenue du 8 février 1904 au 5 septembre 1905. Cette victoire eut un grand retentissement car) elle fut la première d’un pays non-européen sur une grande puissance occidentale.
Cette victoire du Japon, considéré alors comme un « nain » dans l’échiquier mondial, le fit passer au statut de grande puissance aux yeux du monde et c’est aussi l’événement qui joua probablement un rôle dans la construction du nationalisme japonais.
Quant au Général Nogi, bien qu’il ait perdu la même année, en mai et novembre 1904, ses deux garçons (âgés de 24 et 26 ans) durant cette guerre, il avait réussi grâce à sa force et son génie militaire à exalter ses soldats.
Figure éminente de cette victoire, il revint en véritable héros de guerre au Japon.
La mort du général Nogi
Même s’il reçut tous les honneurs à l’issue de ces grandes victoires, Le Général Nogi n’était pas homme à s’en satisfaire pour autant.
Élevé dans la tradition des 47 Ronin qui allèrent jusqu’au sacrifice de leur vie pour pouvoir venger leur maître, il avait exprimé par deux fois au cours de sa carrière militaire et suite à des échecs personnels son envie de mettre fin à ses jours.
Le code d’honneur des samouraï qu’il avait appris durant son entance leur imposait en effet de mettre fin à leurs jours pour laver leurs erreurs, les soulager de la honte, de la déloyauté ou du déshonneur. Il a voulu ainsi suivre ce code à la lettre en mettant fin à ses jours.
Le « seppuku » était ainsi un suicide honorable, commis principalement par les samouraï, qui se poignardaient dans l’intestin, faisaient quelques mouvements avec la lame et mourraient de perte de sang ou de traumatisme, bien qu’une personne de confiance qu’ils avaient choisie abrégeait leurs souffrances par décapitation.
Le seppuku, qui a été pratiqué pendant des centaines d’années, était ainsi entouré de règles précises ainsi que d’un rituel très complexe. Le samouraï avertissait par exemple ses plus proches amis, fixait l’heure de la cérémonie, et déposait lui-même sur un coussin le « wakizashi« , un petit sabre courbe similaire au katana, avec lequel il allait se donner la mort.
La première des erreurs qu’il voulut laver se déroula pendant la Rébellion de Satsuma en 1877-1878 après la perte d’un étendard impérial lors d’une bataille.
Considérant la confiance de l’empereur trahie par cet échec, il tenta de se racheter avec une bravoure suicidaire afin de reprendre l’étendard, jusqu’à ce qu’il lui soit ordonné de s’arrêter.
Cet épisode resta un événement douloureux pour lui tout au long de sa vie et il est d’ailleurs intéressant de noter que deux dates sont inscrites derrière la tombe du Général: la date réelle de son décès (1912) et avril 1877, qui correspond à ce moment honteux qui, à ses yeux, a toujours été considérée comme sa mort symbolique.
Des années plus tard, durant la guerre russo-japonaise, alors qu’il était parvenu à capturer Port Arthur à l’issue d’un siège de plusieurs mois, il estima avoir perdu beaucoup trop de soldats.
A son retour au Japon, il exprima à l’empereur Meiji toute la responsabilité personnelle qu’il portait en lui au regard de toutes ces vies fauchées pendant la bataille (plus de 50.000 du côté japonais) et lui demanda la permission de se suicider. Ce à quoi l’empereur lui répondit «Pas tant que je serai en vie.»
Après un règne de plus de 45 ans, l’empereur Meiji, alors âgé de 59 ans, mourut des suites d’une maladie dans la nuit du 29 au 30 juillet 1912 et ce n’est que le 13 septembre, soit un mois et demi plus tard, qu’eurent lieu ses funérailles.
Le Général Nogi, accompagné de sa femme Shizuko qu’il avait épousée en 1878, assistèrent au service funéraire qui s’était tenu au palais impérial pour saluer une dernière fois la dépouille mortuaire de son empereur et se retirèrent à la fin de la cérémonie dans leur humble demeure, située à environ trois kilomètres du palais, pour se préparer à leur macabre destinée, celle de suivre leur empereur pour lui rester fidèle jusque dans la mort.
Ils revêtirent leurs costumes de cérémonie et burent le sake d’adieu dans des coupes qu’ils avaient reçues en cadeau de leur souverain.
Puis ils attendirent, assis dans l’obscurité naissante devant le portrait drapé de deuil de leur empereur, que le signal sur lequel ils s’étaient mis d’accord pour commencer leur rituel intervienne.
Et lorsque, aux environs de 20 heures, le premier coup de canon fut tiré dans le parc du palais impérial, indiquant que le corps de leur empereur quittait le palais (la procession allait mener le cortège funèbre jusqu’au site de la cérémonie, sur lequel a été construit quelques années plus tard le sanctuaire de Meiji-Jingu, avant d’être transporté à Kyoto où l’empereur Meiji fut enterré le jour suivant), les époux Nogi se suicidèrent en retournant leurs armes contre eux, pensant ainsi que prendre leur propre vie était le meilleur moyen d’honorer leur empereur.
A côté du seppuku se pratiquait également le « Junshi ». Et c’est précisément sous ce nom, qui peut être traduit par « suicide par fidélité », que nous est présenté l’acte des époux Nogi durant la visite de leur maison conservée en l’état au cœur de Tokyo.
Pourtant, plus que la volonté du Général Nogi de ne pas survivre à son souverain et le suivre dans la mort, le testament qui fut retrouvé à ses côtés indiqua que son épouse aurait dû lui survivre (la note semblait en effet lui être adressée et montrait ainsi qu’il n’était pas prévu au départ qu’elle se suicide avec lui) et que les deux événements relatés plus haut avaient aussi motivé son geste.
La forme poussée à l’extrême du suicide rituel japonais était pour lui sa façon d’accueillir la mort en simple preux qui doit mourir comme un soldat et surmonter la souffrance jusqu’à la fin, avec personne à ses côtés pour abréger ses souffrances.
Et il dut supporter une longue agonie avant que son âme aille rejoindre celles de son empereur, sa femme et ses enfants.
La résidence, le parc et le sanctuaire Nogi
La résidence du Général Nogi se trouve au cœur de Tokyo, à proximité de Roppongi, un quartier où les lumières vives, la vie nocturne et le shopping sont rois.
Mais à la fin du XIXème siècle, c’était une zone de résidence très calme dans laquelle le Général Nogi, qui voulait vivre paisiblement avec sa famille, choisit de faire construire sa maison dont il dessina lui-même les plans.
Pour le descriptif, le panneau en anglais placé devant le manoir nous indique que la résidence, en étant une structure digne d’un soldat, simple et sans fioritures, qui a été construite en 1912 dans le style des bâtiments de l’armée française qui ont tant impressionné le Général Nogi pendant les années où il était étudiant en Allemagne, est sensiblement différente de beaucoup d’autres maisons somptueuses de l’époque Meiji, construites entièrement dans le style occidental ou avec des salons de style occidental.
Quand la maison est vue à partir de l’entrée principale (maintenant l’une des entrées du Parc Nogi), le bâtiment, qui couvre 168 mètres carrés et qui est couvert de tuiles japonaises, apparaît comme n’ayant que deux étages (rez-de-chaussée et premier étage) mais l’utilisation habile du terrain en pente a permis l’ajout d’un demi-sous-sol, en fait souterrain, qui fait de la structure un bâtiment à trois étages.
Une passerelle installée tout autour du manoir permet d’approcher le bâtiment et de regarder à travers les fenêtres du premier étage, là où se trouvaient les pièces principales que sont le salon et les chambres séparées des époux Nogi.
C’est dans celle du Général, qui est à l’angle de la structure et qui nous est présentée comme «Room of Junshi», qu’eurent lieu les suicides.
On aperçoit facilement, malgré les reflets dus aux rayons du soleil, des photographies des époux, les tatamis de leurs chambres, les petites pancartes indiquant le positionnement qu’ils avaient adopté avant leur suicide rituel et une partie du mobilier d’époque, notamment la cheminée, une machine à coudre, des chaises et une table d’opération qui avait été utilisée durant la guerre russo-japonaise et sur laquelle fut signé le traité d’armistice. Le tout est généralement accompagné de panneaux explicatifs en japonais et anglais.
Les 12 et 13 septembre sont les deux seuls jours de l’année où la maison est ouverte gratuitement au public pour marquer les anniversaires de la veille et du jour du suicide rituel des époux Nogi.
La visite est organisée par tranches horaires de 20 minutes et se fait sur la base du premier arrivé premier servi.
Pour des raisons de confort et en raison de la modeste taille de la maison, pas plus de dix personnes peuvent entrer en même temps dans la résidence séculaire.
Si la maison garde un aspect de sobriété, certains de ses équipements étaient de tout premier ordre pour l’époque, comme le téléphone, l’électricité, les toilettes ou l’extincteur que l’on voit dès l’entrée.
Si la partie du sous-sol reste évidemment très intéressante, avec la cuisine, la salle de thé, la réserve, la salle de bains, les toilettes, le quartier réservé aux domestiques et la salle décrite comme celle des garçons, c’est le passage à l’étage supérieur qui accapare le plus l’attention du visiteur car ce sont les pièces de vie principales de la famille Nogi.
Ce sont aussi les pièces de cet étage que l’on peut voir de l’extérieur tout au long de l’année à travers les fenêtres.
Outre les costumes militaires, médailles et autres distinctions reçues par le Général Nogi durant sa carrière militaire, sont également exposés dans le salon des objets de la vie courante des époux Nogi, telles une brosse à dents, des paires de chaussures ou un peigne à cheveux.
Adjacent à celui-ci se trouve une salle de réception qui était aussi la salle d’étude. Le bureau très sobre sur lequel il composait ses poèmes et autres écrits est toujours en place.
Et enfin, au bout du couloir, face à la chambre de l’épouse Nogi , dans laquelle est exposé le costume qu’elle portait lors de son passage vers l’autre monde, on retient son souffle une fois devant celle du Général Nogi, la fameuse « salle du Junshi ».
Les petits panneaux qui, de l’extérieur, permettent de se faire une idée sur la façon dont les époux Nogi s’étaient positionnés avant leur acte ultime ont laissé la place au costume militaire qu’avait le Général Nogi sur sa plus célèbre photo, prise devant sa résidence le matin-même de son suicide.
Avec la « dressing room » et l’antichambre, faites également de tatamis et exposant d’autres costumes du couple, ce sont les seules salles de cet étage qui ne sont pas accessibles. Salon, entrée, un deuxième petit salon, la salle de réception et même les toilettes sont librement accessibles.
En revanche, les escaliers qui mènent au deuxième étage est interdit au public. Constitué principalement du grenier, de la chambre des deux garçons Nogi et d’une bibliothèque, cet étage n’est pas accessible dans un souci de préservation.
Un autre bâtiment adjacent ne manquera pas d’attirer l’œil du visiteur. Visible de l’extérieur du parc avec ses remarquables tuiles rouges, c’est une solide structure en briques qui témoigne de l’amour sans borne qu’avait le Général Nogi pour les chevaux et du grand soin qu’il accordait à ses montures puisqu’il s’agit de l’écurie générale que finit de nous décrire aussi le panneau à l’entrée de la résidence.
Structure à un étage couverte de tuiles japonaises, construite en 1889, avant même la construction de la maison, c’est un bâtiment étroit long de 12,5 mètres et large de 4,5 mètres qui est divisé en quatre sections servant à loger les chevaux du Général et à stocker les aliments.
Bâtiment totalement inapproprié au cœur d’une grande métropole comme Tokyo, il accroît de façon certaine le sentiment d’authenticité attachés au lieux.
Devant la résidence se trouve également le jardin dans lequel il est agréable de se promener pour aller directement rejoindre le sanctuaire Nogi-Jinja.
Le Général Nogi avait été très aimé par la population japonaise et, devant l’affluence des gens qui venaient visiter la résidence pour lui rendre hommage, il fut décidé par la mairie de Tokyo d’établir en 1917 un sanctuaire devant lequel les gens pourraient venir prier pour eux tout au long de l’année.
Ainsi déifiés en divinités shinto (« kami »), le sanctuaire est aussi un lieu populaire pour demander une union heureuse en raison du lien indéfectible qui a uni les époux Nogi jusqu’à leur dernier souffle.
Il est également visité par ceux qui souhaitent implorer la chance dans les études et le monde du travail car, en plus d’être un grand militaire, le Général Nogi était aussi connu pour ses talents littéraires et ses poèmes.
D’autres édifices furent également élevés à la mémoire des époux Nogi, à Fushimi (Kyoto), près du mausolée de l’empereur Meiji, à Hakodate (Hokkaido), Shimonoseki (Chofu) et Nasu-Shiobara (Tochigi).
Enfin, pour aller plus loin et visiter le lieu où reposent les époux Nogi et leurs fils, se trouve à environ 20 minutes du parc Nogi le cimetière d’Aoyama qui, avec près de 150 ans d’Histoire (il a ouvert en 1874), est le premier cimetière public du Japon.
Et parmi les 14.000 tombes qui jalonnent l’immense «forêt urbaine» que constitue ce cimetière, beaucoup sont la dernière demeure de nombreuses personnalités qui ont laissé leur empreinte sur Tokyo et sur l’Histoire moderne du Japon, dont le Général Nogi et sa famille.
Leurs tombes sont installées dans un petit espace rectangulaire qui se détache singulièrement du paysage tout en restant commun et simple, à l’image de ce personnage pourtant haut gradé qui avait aussi été anobli comte.
Il est intéressant de noter qu’à seulement quelques minutes à pied se trouve la tombe d’un autre symbole de loyauté japonaise, dans le domaine animalier cette fois. Hachiko, le célèbre chien dont tout le monde ou presque connaît l’histoire, est enterré dans ce cimetière aux côtés de son maître qu’il avait attendu des années après sa mort devant la gare de Shibuya.
Conclusion
Mort à 64 ans sans enfants ni héritiers pour assurer la continuité de son nom et de son titre de noblesse (il avait refusé les nombreuses propositions d’adoptions qui lui avaient été faites), sa maison fut donnée à la ville de Tokyo après son décès et fut désignée comme bien matériel culturel de l’arrondissement de Minato, tant dans l’architecture du bâtiment que pour son côté historique et culturel.
Avec le sanctuaire Nogi qui fut construit à proximité, la pente fut également nommée Nogizaka.
Le quartier lui-même est connu sous ce nom et la station de métro, ouverte en 1972, a également pris ce nom.
En choisissant de suivre leur empereur jusque dans la mort, le Général Nogi et son épouse ont fait preuve d’une extrême loyauté envers leur souverain.
Aussi, par cette tragique démonstration, la violence de leur double suicide a profondément impressionné le pays et le monde.
Mais, au seuil d’une nouvelle ère (l’empereur Yoshihito succéda à son père et gouverna durant l’ère Taishô, « l’ère de la Grande Justice », jusqu’en 1926), la Nation était divisée.
Il y avait d’un côté ceux qui voyaient le suicide des époux Nogi comme le symbole ultime d’un dévouement sans mesure et l’affirmation héroïque du code samouraï que le Général s’était appliqué à suivre tout au long de sa vie.
Et de l’autre côté, il y avait ceux pour qui cet acte était une source d’embarras. Ce qui avait poussé le Général et sa femme à recourir de manière si dramatique à cette pratique interdite était en effet considéré par beaucoup comme un anachronisme et le signe que le Japon n’avait pas encore franchi la ligne culturelle séparant tradition et modernité.
Il n’en demeure pas moins que la visite de la petite maison du héros militaire vénéré, qui affiche un intérieur très simple à l’image de ce qu’il a été au long de sa vie, reste un moment poignant quand elle est replacée dans le contexte de l’époque, et très précieuse en ce qu’elle est extrêmement rare et unique, mélange des styles japonais et occidental.
Avec ce vibrant témoignage de l’époque de Restauration japonaise, le moment reste encore plus remarquable si l’on y associe le caractère emblématique de son propriétaire, un des personnages les plus importants de cette époque que certains Japonais ont surnommé «le dernier Samouraï du Japon», et prend même un goût de fascination dès l’instant où l’on prend conscience qu’un double acte tragique s’y est produit, faisant de la chambre du Général Nogi un rappel solennel de l’esprit d’un autre temps.
Pour aller plus loin
Christian Jossalain
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