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Staline et Hirohito
Staline et Hirohito

Août 1945: L’URSS porte le coup de grâce au Japon (1/2)

Le 15 août 1945, l’empereur Hirohito ordonne à la radio au peuple japonais de «supporter l’insupportable». L’«insupportable» est la capitulation sans condition qu’a refusé farouchement jusqu’alors le Japon, dernier pays de l’Axe à poursuivre la guerre.

Qu’est-ce qui incite Hirohito à prôner la paix, lui qui est resté muet, ou complice, du militarisme japonais pendant les quatorze années de guerre qu’a provoqué le Japon en Asie et dans le Pacifique? La réponse qui vient spontanément à l’esprit est l’impact dévastateur des bombardements atomiques d’Hiroshima, le 6 août 1945 et de Nagasaki, le 9 août 1945.

C’est la destruction de ces deux villes, réduites en cendres par ces armes terrifiantes, qui contraint Tokyo a jeté l’éponge.

Cette analyse univoque néglige un facteur décisif: l’entrée en guerre de l’Union Soviétique le 9 août 1945, trois jours après Hiroshima et quelques heures avant Nagasaki et la conquête foudroyante de la Mandchourie qui suivit par l’Armée rouge, au cours de ce qui est la plus massive opération militaire de la Seconde guerre mondiale.

Une guerre contre le Japon, Staline l’envisage depuis 1943, mais il veut éviter à l’URSS de combattre à l’ouest et à l’est. Il conditionne son engagement militaire en Asie à l’élimination préalable de l’Allemagne nazie.

A la conférence de Yalta, en février 1945, Staline précise qu’il se retournera contre le Japon trois mois après la fin des opérations en Europe afin de donner à l’Armée rouge le temps de se déployer en Extrême-Orient.

En avril, alors que le régime nazi est à l’agonie, Staline dénonce unilatéralement le pacte de non-agression que l’URSS a signé avec le Japon en 1941. A compter du mois de mai, Staline transfère le long du fleuve Amour les corps d’armées qui ont vaincu l’Allemagne.

En juillet 1945, à la conférence de Potsdam – l’ancienne résidence du roi de Prusse Fréderic le Grand- les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la République de Chine renouvellent leur ultimatum en menaçant le Japon d’une «destruction totale» s’il ne dépose pas les armes.

Lors de l’ouverture de cette conférence, le président américain Harry Truman avertit Staline que les Etats-Unis ont testé quelques heures plus tôt avec succès une bombe atomique et que les Etats-Unis sont décidés à employer cette arme contre le Japon.

Cependant, loin d’être convaincu que l’atome mettra un terme à la guerre, Truman insiste une nouvelle fois pour que l’URSS s’engage le plus rapidement. Staline accepte, il veut sa part du démembrement de l’empire japonais.

Conférence de Postdam
Conférence de Postdam

Début août 1945, l’Armée rouge est prête. En trois mois, plus d’un million et demi de soldats, trente mille pièces d’artillerie et tubes lance-roquettes, environ 5.500 blindés et canons d’assaut, 86.000 véhicules divers et 3.800 avions ont été acheminés à travers la Sibérie et massés à la frontière du Mandchoukouo, ce pseudo état indépendant crée en 1932 par les militaires japonais suite à l’incident de Moukden.

C’est la plus massive opération militaire de la Seconde guerre mondiale qui se prépare. L’Armée rouge n’a jamais concentré autant de moyens. Il est vrai qu’elle va se lancer à la conquête d’un territoire démesuré, aussi vaste que l’Europe de l’ouest.

Cavalier samouraï Takeda

Le plan de défense japonais en Mandchourie

Face à cette Armée rouge aguerrie par quatre années de combats face à la puissante Wehrmacht, soutenue par une industrie de l’armement au maximum de ses capacités et qui n’a subit aucun dégâts, bénéficiant d’un réseau de voies de communications certes réduit mais intact, le Japon n’est que l’ombre de ce qu’il a été. Ses centres industriels sont systématiquement rasés par l’US Air Force.

Ses liaisons maritimes avec les territoires encore en sa possession sont coupées par les sous-marins et la flotte de surface des Américains qui, rendue audacieuse par le manque de riposte des Japonais, lance des raids le long des côtes de l’archipel et coule les derniers navires japonais encore en état de naviguer.

Le Japon conserve cependant une dernière carte: la Mandchourie. L’essentiel des villes de Mandchourie est hors de portée des bombardiers américains et ont été épargnées.

Les raids aériens tentés contre Shenyang – appelé alors Moukden – et d’autres centres industriels ont causé peu de dommages. Fleuron de l’Armée impériale avant 1941, l’armée du Kwantung casernée en Manchourie reste, avec les corps d’armée occupant le reste de la Chine, les dernières forces vives du Japon.

Cette armée est forte de 700.000 hommes sur le papier. En réalité, elle a été appauvrie par les prélèvements opérés pour renforcer des fronts comme la Birmanie. Si, selon les critères japonais, l’armée du Kwantung est bien armée, comparée à l’armement des Alliés, elle est surclassée dans la plupart des domaines.

Elle manque de pièces antichars: ses fusils antitank modèle 97 et ses canons modèles 98 (20 mm) et 41 (47 mm) sont trop faibles contre les épais blindages soviétiques.

Ses blindés sont en majorité des chenillettes – modèle 94 et 97 Te-Ke – et des tanks légers – modèle 95 Ha-Gô – conçus pour soutenir l’infanterie et non pour entrer dans des duels avec d’autres blindés.

Les canons de ses chars moyens – modèles 89 A Chi-Ro et 94 et le dernier né, le 97 Chi-Ha – sont impuissants à percer l’acier de leurs homologues soviétiques alors qu’eux-mêmes sont très vulnérable aux puissantes charges creuses de leurs adversaires.

Tank japonais modèle 95 Ha-Gô
Tank japonais modèle 95 Ha-Gô

L’armée du Kwantung paye le choix du haut-commandement d’avoir sacrifié l’arme blindée par fidélité à une doctrine qui privilégie l’infanterie et par mesure d’économie(1).

L’aviation, environ 2.000 appareils, a été dépouillée de ses meilleurs éléments, remis aux escadrilles de kamikaze du Pacifique.

L’infanterie, clé de voute de l’armée du Kwantung, est gonflée par l’apport de supplétifs locaux et de Coréens enrôlés de force qui n’ont ni la loyauté, ni le mordant des effectifs japonais. Une cavalerie de Russes blancs encadrée par le Parti fasciste de toute la Russie du général tsariste V.A. Kislitsin a été constituée, mais sa valeur militaire est négligeable(2).

Enfin, le commandement n’est pas des plus brillants: les officiers les plus compétents ont été envoyés au feu dans d’autres régions.

Face à la menace soviétique, l’armée du Kwantung a opté pour une stratégie inspirée des batailles du Pacifique. Il ne s’agit plus de frapper l’adversaire de toutes ses forces à la recherche de la bataille d’anéantissement, de vaincre en un coup de dé par un choc frontal comme le veulent les principes stratégiques enseignés au Japon depuis le 19ème siècle.

Depuis la fin 1942, les Japonais sont sur la défensive. Ils s’enterrent dans des points d’appuis ingénieusement disposés afin de faire payer chèrement à l’adversaire sa progression.

De l’agressivité offensive, la stratégie de l’Armée impériale a viré à une guerre d’usure où elle est prête à sacrifier jusqu’au dernier homme dans l’espoir de saigner l’adversaire.

Conscient que la plaine centrale de Mandchourie est favorable aux blindés soviétiques, le plan japonais vise à retarder l’Armée rouge une fois qu’elle aura traversé le fleuve Amour afin de donner le temps à l’armée du Kwantung de se replier dans les zones montagneuses à la frontière avec la Corée.

Sous l’emprise de la certitude que le fantassin japonais est le meilleur du monde, le commandement japonais entend regagner l’avantage en forçant les Soviétiques à combattre à pied dans ces régions escarpées et boisées défavorables aux blindés.

L’expérience acquise contre les Américains dans le Pacifique se reflète là encore: l’Armée impériale abandonne les espaces ouverts – les plages dans le cas des îles du Pacifique -, privilégiant les possibilités infinies de fortifications d’un relief accidenté et couvert de végétation.

Derrière le plan japonais se cache un vieux raisonnement stratégique. L’objectif n’est pas de conserver la Mandchourie dont les Japonais connaissent la vulnérabilité mais de faire de cette région une zone-tampon, un glacis protégeant la Corée.

Annexée à l’empire depuis 1910, séparée du Japon que par l’étroit détroit de Tsushima à peine large de 100 kilomètres et d’autant plus facile à traverser qu’il y a en son milieu l’île qui a donné son nom à ce goulet entre la Mer du Japon et la Mer Jaune, la péninsule est de fait un tremplin idéal pour un débarquement dans l’archipel.

Pour verrouiller cette porte, le Japon est entré en guerre contre la Russie en 1904. Et c’est en fonction de ce même raisonnement que l’armée du Kwantung se prépare un sanctuaire à la frontière coréenne.

Les Japonais sont arrivés au bout d’une réflexion stratégique commencée un demi-siècle plus tôt. Si lors de la première guerre sino-japonaise (1896) et de la guerre russo-japonaise, cette réflexion était pertinente, pendant l’été 1945, elle n’a plus rien à voir avec une compréhension rationnelle des rapports de force.

Elle montre le vide doctrinal de l’Armée impériale qu’elle compense par une foi inébranlable dans le sens du sacrifice du soldat japonais pour inverser le cours de l’Histoire.

Reddition de soldats japonais aux soviétiques
Reddition de soldats japonais aux soviétiques

Pour résumer, l’objectif n’est pas de battre les Soviétiques mais de les user de la même façon que les Japonais essayent d’épuiser les Américains dans le Pacifique.

Il ne s’agit plus de vaincre mais d’écœurer en portant les pertes humaines de l’adversaire à un niveau insoutenable.

Le plan japonais comporte une faille structurelle: c’est l’erreur que répète rigidement le haut-commandement japonais depuis les années trente.

Ses anticipations ne sont que les projections de la façon dont les Japonais mèneraient campagne s’ils conservaient l’initiative.

Leurs raisonnements correspondent parfaitement aux moyens militaires dont ils disposent mais ignorent les profondes évolutions que la guerre en Europe a entrainé entre 1939 et 1945.

En 1931, dépourvue de blindés – si on fait abstraction de quelques chars Renault T4 qui n’ont pas vraiment été utilisés à cause du gel – l’armée du Kwantung a conquis la Mandchourie en suivant les lignes de chemins de fer.

Les Japonais en déduisent donc que les Soviétiques suivront les voies ferrées. Et puisque la frontière avec la Mongolie est inaccessible par le train, les Japonaises négligent de fortifier cette région et la laissent dégarnie.

Or, c’est précisément par là les chars soviétiques vont s’engouffrer et conduire une des blitzkriegs les plus brutales de la Seconde guerre mondiale.

Lecture (chaudement) recommandée:

Ishiwara, l'homme qui déclencha la guerre

De 1889 à 1949, un homme au parcours militaire et idéologique hors normes traverse les moments clefs de l’Histoire du Japon: ouverture forcée à l’Occident, l’attaque de Pearl Harbor, Hiroshima, Nagasaki, les procès de Tokyo.

Issu d’une famille de samouraï, formé en Allemagne dans les années 20, le général Ishiwara est notamment à l’origine de l invasion de la Mandchourie en 1932. Il apporte ainsi un soutien essentiel à l’idéologie fasciste et raciale qui jettera le Japon dans le conflit mondial.

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(1) : Voir U.S. War Department, Handbook on Japanese Military Force, 1944, réédité par Louisiana State University Press, Baton Rouge, 1991.
(2) : Voir Sabine Breillard. Harbin and Manchuria: Space, and Idendity, Duke University Press, Durham N.C., 2000.

Bruno Birolli

Auteur de « Ishiwara, l’homme qui déclencha la guerre » (Amazon); de « Port-Arthur , 8 février 1904- 5 janvier 1905 » (Economica), du chapitre « Tempête d’automne » dans « Les mythes de la deuxième guerre mondiale » (Perrin); de deux romans « Le music-hall des espions » et « Les terres du Mal » chez TohuBohu éditions.

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