Les femmes de réconfort coréennes, « comfort women » en anglais, sont les anciennes esclaves sexuelles de l’armée japonaise pendant la seconde guerre mondiale. Quels sont les enjeux du dossier des comfort women? Pourquoi sont-elles contraintes de saisir un tribunal de Californie pour faire valoir leurs droits de victimes soixante-dix ans après la fin de la guerre? Pourquoi aucune juridiction internationale, coréenne, japonaise ou américaine, n’a à ce jour condamné les coupables? Le viol et l’esclavage sexuel demeurent des armes de guerre et de terreur avec Boko Aram et Daesch. L’Histoire se répétera-t-elle face à l’inertie de la communauté internationale? Quel est l’arsenal juridique à opposer?
L’histoire militaire montre que toute armée d’occupation ou coloniale a, à un moment ou à un autre, mis en place un système organisé de prostitution pour ses soldats. Mais aucun pays n’a procédé comme le Japon durant la seconde guerre mondiale. L’armée japonaise a organisé, à l’échelle de l’Asie, l’enlèvement, la déportation, la détention, la torture, de 200.000 femmes, la plupart originaires des pays asiatiques attaqués par le Japon, les transformant en esclaves sexuelles.
Nombre de Coréennes parfois très jeunes subirent ces exactions aux séquelles physiques et psychologiques indescriptibles. Surnommées les comfort women (wianbu en coréen), elles ne cessent depuis la fin de la guerre, de lutter pour la reconnaissance de leur statut de victimes.
Pourquoi ces Coréennes ont-elles été contraintes d’assigner devant un tribunal californien des multinationales japonaises comme Mitsubishi, pour les condamner à leur verser vingt millions de dollars à titre de dommages intérêts ? Quels obstacles juridiques ont rencontré ces victimes des pires crimes pour plaider leur dossier devant un tribunal américain soixante-dix ans après la fin de la guerre ?
Le calvaire juridique de ces comfort women commence avec le Tribunal International de Tokyo en 1945, qui a ignoré leurs souffrances. Le tribunal international de Tokyo avait une toute autre mission, celle de juger quelques responsables japonais soigneusement choisis, de sauvegarder les restes de l’Etat japonais, non de défendre les comfort women.
Le tribunal international de Tokyo
Les onze juges du Tribunal de Tokyo, le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient (TMIEO), présidé par un Australien, William Webb, rendent un jugement de 1.200 pages concernant 28 japonais après 419 auditions de témoins, sur fond de dissensions procédurales mais aussi politiques.
L’article 16 de la charte du tribunal de Tokyo prévoit la peine de mort à la majorité simple.
Le juge Henri Bernard représente la France, conséquence de la déclaration de guerre de la France libre au Japon le 8 décembre 1941 et de l’occupation japonaise de l’Indochine.
L’acte d’accusation, déposé le 29 avril 1946, couvre les faits à partir du 1er janvier 1928, date correspondant à l’assassinat d’un chef de guerre chinois en Chine du Nord par l’armée japonaise. Trente-six chefs d’accusation sur cinquante cinq concernent les crimes contre la paix, définis par l’Accord de Londres du 8 août 1945.
L’article 5 de la charte du tribunal distingue trois catégories de prévenus:
- La classe A concerne les auteurs de crimes contre la paix, appartenant aux hautes sphères du pouvoir et les auteurs de la planification de la guerre.
- La classe B concerne les crimes de guerre conventionnels.
- La classe C concerne les crimes contre l’humanité.
Seuls les prévenus de la classe A comparaissent devant le Tribunal de Tokyo.
D’autres juridictions éparpillées au Japon et dans d’autres pays asiatiques jugeront certains criminels de guerre et certains auteurs de crimes contre l’humanité.
Mais sans expérience, sans organisation, sans juges spécialisés, sans moyens d’instruction, sans enquêtes approfondies, sans policiers formés correctement, sans avocats compétents, sans assistance des victimes, dans un climat de honte et de mépris pour les victimes, les résultats seront très inégaux. Les bourreaux des comfort women – auteurs de crimes de guerre conventionnels – ne seront pour la plupart jamais inquiétés ou alors condamnés pour d’autres faits considérés comme plus importants.
Les comfort women ne bénéficient d’aucun statut particulier de victimes. D’aucune reconnaissance particulière. Beaucoup, dans un état médical déplorable, ne regagnent pas leur pays. Elles ignorent même l’existence du tribunal de Tokyo. Elles ignorent tout de leurs droits.
Les juges du tribunal de Tokyo ne peuvent ignorer les preuves de l’organisation mise au point par l’Etat japonais et des opérateurs privés de tous les pays envahis, afin de transformer ces femmes en esclaves sexuelles. Même si les historiens, dans une Asie dévastée, avaient très difficilement accès aux sources. Beaucoup d’archives furent en effet détruites entre l’acceptation par le Japon de la déclaration de Potsdam le 14 août 1945 et l’arrivée des troupes américaines le 30 août 1945.
L’Etat japonais, d’autres institutions étatiques, ou militaires comme l’état-major de l’armée de terre, le Haut Commandement de la Marine, le Grand Conseil Impérial, ne sont pas poursuivis en tant que tels. Seuls 28 individus, 9 civils et 19 militaires sur lesquels les Américains font reposer la responsabilité de la guerre, seront jugés et condamnés.
L’accusation de complot contre la paix est fragile, les responsables civils et militaires n’ont cessé de se succéder. Le seul responsable japonais resté à son poste durant tout le conflit est l’Empereur du Japon. Or, le général Douglas MacArthur, avec l’aide du procureur américain Joseph Keenan, ami de Roosevelt et ex-combattant de la pègre de Chicago, a obtenu qu’il ne soit pas poursuivi.
Parmi beaucoup d’autres stratégies de défense, les avocats des condamnés introduisent un recours auprès du général Mac Arthur, autorité d’appel, sur le fondement de l’article 17 de la Charte du Tribunal, prévoyant la révision des peines. Mac Arthur, après consultation du Conseil Interallié pour l’Extrême Orient confirme la décision du tribunal.
La Cour Suprême des Etats-Unis se déclare incompétente pour aménager ou réduire les peines des condamnés. Mais le président Harry Truman, le 4 septembre 1952, crée un comité chargé d’examiner les demandes de diminution des peines.
Pendant que les comfort women survivantes tentent de se soigner et de reprendre leur place dans la société, malgré une discrimination et un mépris des leurs, les condamnant à rester des parias et à revendiquer en vain leurs droits.
Le tribunal de Tokyo aurait pu reconnaître la responsabilité de l’Etat japonais dans l’exploitation sexuelle des comfort women, évitant ainsi soixante-dix ans de combat juridique et politique et le sentiment d’impunité des bourreaux des comfort women.
En 1978, les « âmes » de 14 criminels de guerre japonais de classe A sont accueillies dans le sanctuaire Yasukuni où nombre d’hommes politiques japonais viennent se recueillir. Le sentiment d’impunité des coupables de l’esclavage sexuel des comfort women est alors total.
Le Japon a invoqué le traité du 22 juin 1965 pour échapper à ses responsabilités. Certains hommes politiques japonais iront jusqu’à soutenir que les comfort women ont évité des centaines de milliers de viols comme lors du massacre de Nankin en 1937…
Le traité entre le Japon et la Corée du Sud du 22 juin 1965
Le traité du 22 juin 1965 a normalisé les relations entre les deux pays, n’entretenant plus de relations diplomatiques depuis 1952. L’Amérique de 1965 de Lyndon B. Johnson, en pleine guerre du Vietnam, avait besoin d’une Asie unie et surtout de bases militaires dans des pays stables en bonne santé économique. Le traité prévoit le versement du Japon à la Corée d’une somme de 300 millions de dollars. Un prêt bancaire de 500 millions de dollars permet à l’économie coréenne de décoller.
Le Japon considère que ce traité règle définitivement, politiquement et juridiquement la question de la colonisation de la Corée et notamment l’indemnisation des comfort women coréennes. Mais aucune clause du traité du 22 juin 1965 ou de ses annexes, ne reconnaît expressément la responsabilité du Japon colonisateur et les dommages causés par la colonisation japonaise de 1905 à 1945, encore moins le statut de victimes des comfort women et la nécessité de compenser leurs souffrances.
L’aide économique japonaise n’est pas qualifiée de réparation au titre de l’occupation et des crimes causés par l’armée japonaise, l’Etat japonais refusant catégoriquement de reconnaître la moindre responsabilité, invoquant une situation de guerre classique. Les victimes coréennes aidées par certains hommes politiques coréens et des associations, rejettent totalement l’argumentation du Japon.
Devant les tentatives infructueuses de faire condamner l’Etat japonais, tant par les tribunaux japonais que par les tribunaux américains, un tribunal d’opinion est mis en place.
Le Tribunal d’opinion
Le tribunal d’opinion a été créé en 2000 par un groupement d’organisations défendant les comfort women.
Les hommes politiques japonais nient pour la plupart les responsabilités du Japon dans les crimes de guerre et contre l’humanité en Asie ou lorsqu’ils les reconnaissent, n’en tirent pas les conséquences. Le nationalisme japonais souvent exacerbé ne facilite rien.
Un tribunal d’opinion a pour fonction de juger les protagonistes en respectant les droits des victimes et en leur donnant la parole. La sentence est en général très médiatisée, forçant les responsables politiques à répondre et à se justifier de leur action et de leur inaction. Cette même procédure avait été utilisée pour juger les responsables de l’utilisation de l’Agent Orange contenant de la dioxine pendant la guerre du Vietnam.
Soixante-quatre comfort women survivantes originaires de 9 pays envahis par le Japon étaient parties à la procédure.
Parmi les juges, l’ancienne présidente du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Gabrielle Kirk Mac Donald. Une des procureurs est Patricia Viseur-Sellers, conseiller du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Rwanda.
La sentence du tribunal, prononcée à la Haye le 4 décembre 2001, condamne dix personnes dont l’Empereur du Japon que le général Mac Arthur avait préservé de toutes poursuites pénales pour faciliter l’occupation américaine du Japon. L’arrêt du tribunal d’opinion rédigé par des juristes à la notoriété et aux compétences incontestables, rappelle un devoir d’indemnisation et de réparation. C’est une étape stratégique dans le combat juridique des comfort women.
Mais leurs actions judiciaires malgré la sentence du tribunal d’opinion échouent encore. Les comfort women doivent se contenter de fonds japonais et coréens d’un montant très insuffisant pour leur venir en aide, notamment à travers des programmes medicare peu adaptés. Une vraie condamnation de l’Etat japonais est souhaitée par les comfort women.
La procédure en cours devant le Tribunal de Californie
Certaines comfort women ne se résignent pas à disparaître sans tenter une nouvelle fois de faire reconnaître tant juridiquement que politiquement leurs préjudices.
Assigner les multinationales japonaises comme Mitsubishi devant un tribunal californien, demander leur condamnation à verser une somme de vingt millions de dollars, exigent de prouver leur implication et leur complicité dans l’organisation des stations comfort women. Des sociétés japonaises ont bénéficié directement ou indirectement de la mise à disposition pour leur personnel des comfort women.
Des sociétés japonaises mais aussi coréennes ou d’autres pays envahis, ont fourni du matériel, ou ont servi d’opérateurs privés pour l’organisation des convois et la gestion des stations de comfort women. Les stations comfort women ont facilité l’implantation et le développement d’activités économiques privées.
« Businessman also reportedly used military brothels euphemistically as “comfort women stations” during the time they were active and semi governemental or independent companies were active, and semi governemental or independent companies were allegedly involved in operating the operations in occupied territories », nous explique l’historien japonais, spécialiste des conséquences des guerres du Japon, Hayashi Hirofumi, sur son site.
Par ailleurs, nombre de sociétés coréennes ont bénéficié de fonds versés par le Japon lors de la signature du traité de normalisation de 1965. Si le Japon considère que ces fonds indemnisent les préjudices subis par les comfort women, celles-ci doivent en recevoir une partie.
La Cour Suprême de Séoul a déjà rappelé le principe que les groupes japonais Mitsubishi Heavy Industries, empire de l’industrie aérospatiale, des chantiers navals, ou Posco, l’aciériste, devaient indemniser les travailleurs forcés.
Certaines firmes américaines coopéraient aussi avec le Japon avant l’attaque le 7 décembre 1941 de Pearl Harbor. Elles ont probablement directement ou indirectement profité des stations comfort women, réparties dans toute l’Asie.
Les comfort women invoqueront les normes de Jus Cogens, l’article 3 de la convention de la Haye du 18 octobre 1917, prévoyant la réparation et la compensation des dommages, l’article 46 de la convention de la Haye du 18 octobre 1917, mais aussi toute la jurisprudence des tribunaux internationaux depuis la seconde guerre mondiale, en matière de crimes contre l’humanité, crimes de guerre, de torture, de rapts, de travail forcé, de viols, d’esclavage sexuel.
L’article 46 de la convention de la Haye du 18 octobre 1917, ne mentionnant pas expressément le viol, a été largement utilisé par le Japon pour fragiliser le fondement juridique des poursuites.
Le juge américain, même si le principe de non rétroactivité de nombre de conventions internationales signées depuis la seconde guerre mondiale sera nécessairement soulevé par les défendeurs, ne peut abstraire les décisions des juridictions internationales ad hoc.
Reste à savoir comment les multinationales japonaises, ou (et) coréennes, ou (et) américaines, l’Etat japonais, l’Etat coréen, souvent accusé d’abandonner les comfort women au bénéfice du réalisme économique, vont préparer leur défense. Mitsubishi ne va-t-elle pas se réfugier derrière la toute puissance de l’Etat japonais de l’époque, contraignant tous les partenaires commerciaux à collaborer avec lui ? Comment les principales firmes japonaises vont-elles se défendre, sans attaquer l’Etat japonais ?
Mais surtout, les défendeurs ne vont-ils pas plaider l’inapplicabilité du texte Alien Tort Statute de 1789 en vertu de la décision Kiobel de 2013 de la Cour suprême des Etats-Unis ?
The alien tort statute de 1789
Les comfort women coréennes s’appuieront probablement pour leur défense sur the Alien Tort Statute (28.U.S.C §1350 datant de 1789). The Alien Tort Statute (A.T.S) est issu du Judiciary Act de 1789. C’est la première grande loi sur l’organisation judiciaire fédérale adoptée par le Congrès des Etats-Unis. Historiquement, l’A.T.S concernait les atteintes aux droits des ambassadeurs, la violation des sauf-conduits et la piraterie.
The Alien Tort Statute dit précisément: « The district Courts shall have original jurisdiction of any civil action by an alien for a tort only, committed in violation of the law of nations or a treaty of the United States. ». Le principe est que les tribunaux fédéraux américains sont compétents pour connaître des actions civiles initiées par des ressortissants étrangers pour violations du droit des nations ou d’un traité conclu par les Etats-Unis.
En 1980, l’affaire Filartiga V. Pena-Irala a précisé la portée de l’A.T.S: « the U.S Court of Appeals for the Second circuit was allowing the ATS to cover modern human rights violations ». L’affaire Filartiga a suscité beaucoup d’espoirs dans la compétence universelle des juridictions américaines en matière de réparation civile des atteintes graves aux droits de l’homme.
La Cour Suprême américaine a rappelé en 2004 la portée de l’A.T.S dans l’affaire Sosa v. Alvarez-Machain en qualifiant certaines normes universally accepted and obligatory norms of international law. L’A.T.S doit s’appliquer selon la Cour aux violations les plus graves, comme le génocide ou la torture avec la notion d’hostis human generis.
L’A.T.S a été utilisé dans les corporate accountability cases, comme dans les affaires Doe V. Unocal et Wiwa V. Shell, to hold multinational corporations accountable for complicity in human rights abuses.
L’A.T.S a été utilisé aussi dans l’affaire Al Shimari v. Caci, a suit brought by Iraki torture survivors asserting that Caci, a private contractor, participated in war crimes and torture while providing interrogation services at Abu Ghraib prison.
L’A.T.S joue un rôle décisif dans nombre de dossiers où la violation des droits fondamentaux est démontrée. Mais la question fondamentale est de savoir si et dans quelles circonstances l’A.T.S reconnaît un droit à agir en réparation de violations du droit des gens intervenues sur le territoire d’un autre Etat que le territoire américain ?
La Cour Suprême américaine a précisé sa jurisprudence en 2013 dans l’affaire Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co, ruling against a group of Nigerians who had used the United States Alien Tort Statute to sue an oil company that they allege aided the Nigerian government in torture and executions during the 1990s. Dans l’arrêt Kiobel, la majorité des juges de la Cour suprême a appliqué à l’A.T.S une présomption d’absence d’extraterritorialité. Les demandes des victimes nigérianes ont été rejetées pour ce motif.
Des dizaines d’amicus curiae ont été versées au dossier, démontrant l’intérêt stratégique du débat. Les juges précisent que l’A.T.S implique par définition des enjeux de droit international en vertu du droit des nations. Mais ils déclarent aussi que le législateur ne lui a pas conféré expressément une application extraterritoriale concernant des actes commis hors territoire américain.
Les comfort women coréennes, dont certaines vivent aux Etats-Unis, pourraient-elles échouer à faire condamner les firmes japonaises ou autres ayant profité directement ou indirectement des stations comfort women, celles-ci ayant été réparties dans toute l’Asie et non sur le territoire américain?
La question de la responsabilité des personnes morales, représentées aux Etats-Unis, impliquées directement ou indirectement dans les violations des droits de l’homme, hors territoire américain, sera une gigantesque bataille juridique avec des enjeux financiers très importants. Les class action dépendront de la réponse de la Cour suprême car les juridictions du fond multiplient les analyses contradictoires.
L’immunité ou non des sociétés étrangères découlera de cette jurisprudence en construction, dans un contexte international complexe où les atrocités de Daesch, Boko Aram, au Soudan, au Congo continuent.
Reste à savoir aussi si la loi de 1991 Torture Victim Protection Act ne pourrait pas être invoquée par les comfort women, nonobstant la question de la rétroactivité, une cour d’appel fédérale américaine de New York ayant appliqué cette loi à des violations des droits de l’homme commises hors du territoire américain.
La jurisprudence américaine n’est pas figée et peut évoluer favorablement dans l’intérêt des victimes de violations des droits de l’homme. L’enjeu est le respect des souverainetés nationales, la compétence universelle étant souvent malheureusement considérée comme une ingérence. Un équilibre juridique doit être trouvé sans tarder.
Les préjudices des comfort women
Les comfort women souffrent de pathologies physiologiques et psychiatriques en lien direct avec l’esclavage sexuel, les viols de masse, en réunion, répétés, la déportation, la séquestration, la torture, la privation de soins. Les tentatives de suicide et les suicides sont innombrables. Vingt pour cent des comfort women auraient survécu à leur période d’esclavage sexuel.
Les préjudices corporels, d’établissement, patrimoniaux, des ayants droits, – certains enfants sont nés dans les stations comfort women – sont complexes à évaluer devant un tribunal américain, soixante dix ans après les faits. Mais celui-ci pourra utiliser les débats et les procès verbaux du tribunal d’opinion ainsi que les travaux très complets des historiens japonais dont ceux de Hayashi Hirofumi et de Yoshimi Yoshiaki.
L’extrême gravité des séquelles médicales et psychologiques de l’esclavage sexuel pourra faire l’objet d’expertises devant le tribunal californien saisi. La convocation de témoins survivants est encore possible. Les traitements médicaux toxiques imposés comme la prise de l’arsphénamine ou l’inhalation de produits à base de mercure, aidant à lutter contre la syphilis ont généré nombre de troubles physiologiques dont une stérilité pour beaucoup de femmes.
Certaines women comfort ont aussi été victimes d’expérimentations médicales au sein de l’Unité 731, un site de recherches japonais en Chine, où les vivisections, les expérimentations de nouveaux vaccins ou d’armes chimiques étaient pratiquées sur des humains transformés en cobayes. Les Américains ont récupéré les résultats des expérimentations en échange de l’impunité de Shiro Ishii, le responsable du laboratoire.
Toutes les women comfort n’ont pu regagner leur pays, trop faibles, trop malades ou par honte, la société coréenne notamment étant loin d’intégrer ces survivantes.
Identifier les survivantes réparties dans toute l’Asie ou revenues en Europe n’est pas aisé sauf si elles se manifestent. Beaucoup n’ont pas envie de revivre le passé ou le cache tout simplement, plaie béante et si douloureuse.
Le Premier ministre japonais Shinzo Abe a une position politique très critiquée malgré la déclaration de Kôno Yohei de 1993 et les excuses formelles d’anciens Premiers ministres.
Souhaiter la révision de l’article 9 de la Constitution du Japon pour créer une armée officielle et jouer un rôle militaire de premier plan en mer de Chine nécessite, compte tenu de l’Histoire, de reconnaître clairement les exactions de l’Etat japonais pendant la deuxième guerre mondiale, non de les nier ou de les sous-estimer.
Le dossier des comfort women est extrêmement important dans la construction du droit pénal international. Il dépasse largement le contexte coréen. Rejeter leurs demandes, c’est permettre nombre de contestations juridiques lorsqu’on jugera notamment les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre de Boko Aram et de Daesch.
Les comfort women, chaque mercredi, défilent devant l’ambassade du Japon à Séoul. Seront-elles obligées de défiler devant l’ambassade des Etats-Unis à défaut de le faire devant la Cour suprême américaine pour avoir le rang de victimes ?
Là où les Etats et les juristes devraient prendre des décisions sans faillir, pour capturer, condamner les criminels, protéger et indemniser les victimes, seuls les historiens, faisant fi des procédures, semblent affronter l’éternel retour du passé.
Comme si les expériences passées au fil du vingtième siècle n’avaient rien enseigné et que l’esclavage sexuel restait un crime de guerre conventionnel et les victimes, de simples victimes collatérales…
Source: Les enjeux juridiques de l’indemnisation des « comfort women » coréennes
Vincent Ricouleau
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